On se connait ? Non ? Vous êtes sûr.e ? Il y a pourtant des chances qu’il existe de fortes connexions entre vous, qui lisez ces lignes, et moi, qui les écris. Peut-être avons-nous l’exacte même définition de l’amitié. Peut-être sommes nous tous.tes les deux angoissé.es à l’idée d’évoquer un certain souvenir d’enfance. Peut-être que notre vision du monde est totalement biaisée par une éducation similaire, ou que nous avons tous.tes deux envie de dire à un ami à quel point il nous a aidé à avancer, sans jamais vraiment oser le faire. Alors, sommes-nous vraiment des inconnus ?
C’est la question que pose Koreen Odiney, 25 ans, aux milliers d’adeptes de We’re Not Really Strangers, le jeu de cartes qu’elle a créé en 2018 et qui fait l’objet d’un véritable culte outre-Atlantique. Ou plutôt, elle y répond et affirme : nous ne sommes pas vraiment des inconnus. Il suffit d’y jouer pour comprendre.
Crédit : Ashley Chung
We’re Not Really Strangers, ou WNRS (lire « winners »), c’est trois catégories de cartes à jouer : une dédiée à la perception, une à la connexion et une autre à la réflexion. Chaque carte tirée présente une question ou une affirmation concernant nos vies, allant des simples « Ai-je l’air d’être plutôt thé ou café ? » ou « Qu’est-ce qui t’intrigue chez moi ? » à « Qu’est-ce qui te semble le plus difficile à aimer chez toi ? » ou « Quelle est la chose la plus difficile à comprendre à propos de moi ?» Intense. Chacune des cartes peut mener à une réflexion profonde sur soi-même et son rapport aux autres, et initier de longues conversations qui nous en apprennent plus sur les relations humaines et leurs fonctionnements. Son compte Instagram, rempli de citations feel-good, de questions tirées du jeu (« Êtes-vous vraiment heureux ? » vous avez 2 heures) et de messages bienveillants, fédère 2,6 millions d’abonnés, avec toutefois un warning : « Attention : des sentiments pourraient émerger. »Alors comment une fille de 25 ans s’est-elle imposée comme la psychologue en cheffe des États-Unis, grâce à un deck de cartes et un compte Instagram ?Tout commence derrière l’objectif d’un appareil photo, comme l’a raconté Koreen Odiney au magazine Forbes. Élevée à Los Angeles et passionnée de photographie, elle intègre, au lycée, le comité du Yearbook, cette tradition américaine qui veut que chaque élève reçoive, en fin d’année, un livre qui en retrace les temps forts en images, trombinoscope à l’appui. Un premier pas vers la découverte des autres. Un peu mannequin, un peu photographe, Koreen traîne partout son objectif et finit par photographier des inconnus, au fil de ses déplacements, en leur posant chaque fois trois questions : Comment t’appelles-tu, quel âge as-tu et qu’est-ce qui te passionne. Touché par sa démarche, un homme lui suggère d’en faire un livre, et de le titrer We’re Not Really Strangers. Le concept est né, grâce au rapprochement de deux inconnus et d’un petit coup de baguette signé la sérendipité.
Crédit : We’re Not Really Strangers
Si elle tient à être claire sur le fait qu’elle n’est en fait ni psychologue, ni professionnelle de la santé mentale, Koreen Odiney se passionne pour l’étude des comportements humains, et pour le fait d’aider les autres à se sentir moins seuls. Et quoi de mieux qu’un jeu de société pour échanger, partager et découvrir les autres, et ce de façon ludique ? Deux ans après cette rencontre, We’re Not Really Strangers était lancé et créait le buzz sur Instagram. Même pas besoin d’influenceurs, ce sont des gens lambda comme vous et moi qui, intrigués par les citations profondes et les questions-qui-mettent-le-doigt-sur-un-truc, ont fait circuler l’info, offrant au jeu un succès commercial considérable. En période de pandémie, WNRS, dont le but premier est de nous aider à « faire les bonnes connexions », s’est révélé être un véritable soutien moral pour certains, leur permettant de mieux comprendre les émotions qui les traversent tout en fortifiant, à distance, les liens qui les unissent aux autres. Sa dernière déclinaison, sortie cet été en pleine vague de protestations anti-racisme, a même permis d’amorcer des conversations autour de la race et du concept de privilège, avec des questions comme « Quel est la première chose qui t’as fait réaliser l’existence de la race ? » ou « Quelle est la dernière fois où tu as changé de point de vue au sujet de la race et du racisme, et comment ce changement s’est-il produit ? »Comme quoi les conversations qu’on tient avec nous-même dans un coin de notre tête, quand on se demande si on est quelqu’un de bien, méritent d’être partagées, avec ses proches comme avec les autres – que ce soit autour d’un jeu de cartes ou d’un bon verre de vin. Nous, en tout cas, on sait ce qu’on offre à notre belle-sœur pour Noël.
