Crédit : Jamie Beck
Elle est un peu tête à claques, mais on lui doit une fière chandelle : Emily in Parisa redoré l’image de notre beau pays. De loin, au moins. Armée de son look pas possible et d’une vision naïvement charmante des choses, la petite héroïne Netflix aura su glorifier ce qu’on oublie trop souvent d’apprécier : la France. Bon, ok, dans la série, notre glorieuse nation est représentée par des Français pas commodes (ou sinon assez sexy) qui rappellent un peu à la réalité, mais globalement Emily vend du rêve façon An American in Paris : des rues charmantes, la Seine si belle, pas un pigeon ni un SDF ni un CRS, la Touwrayyfel, et le croissant au beurre en terrasse de café avec l’accordéoniste. Vivement la saison 2, annoncée sur Instagram sans précision de date, qu’Emily découvre le métro et la Rive Droite ! Et, plus égoïstement, que nous redécouvrions aussi Paris avec les yeux de l’amour.Car voilà, le monde entier s’est engouffré dans cette brèche spatio-temporelle ouverte par Emily d’une France idéale, un peu rétro un peu moderne. Tous sauf les principaux concernés, nous, coincés dans la version non censurée – celle du second confinement, des masques bleus sous le ciel gris, du gouvernement Castex, des magasins et restos fermés, des rayons interdits du supermarché, des lycéens gazés, d’une situation économique chaotique, des livreurs sans papier, des attentats, des théories de complot, des tentes à tests antigéniques, etc. Alors qu’aussi fou que cela puisse paraître en pleine pandémie et marasme économico-social, la France n’a jamais autant donné envie à l’étranger. Mais qui sont ces ambassadeurs, capables de faire croire que tout va bien tandis que tout s’écroule ? Ce sont les Frenchfluencers qui vendent du rêve sur Instagram, peu importe la réalité.Un Frenchfluencer, c’est un.e expat (souvent américain.e) qui blog ou poste depuis notre douce France, véhiculant une image souvent idyllique à ses compatriotes restés au pays et qui croient probablement qu’on a tou.te.s une marinière dans notre placard. On l’ignore, trop occupé.e.s à saluer les efforts capillaires coiffé-décoiffé de Jeanne Damas ou la moue mutine de Sabina Socol, mais les USA préfèrent mater les aventures online de Jamie Beck, Tiffanie Davis, Lindsey Tramuta, Molly Wilkinson ou encore David Leibovitz. Le New York Times leur a d’ailleurs consacré un article qui rappelle à quel point le fantasme du French way of life est toujours d’actualité. 
Crédit : Jamie Beck
Entre Jamie Beck qui régale ses 320k followers d’une Provence bucolique traversée en robe à crinoline et chapeau Jacquemus, Molly Wilkinson qui donne des cours de macaron online depuis son appart versaillais (« à 30 minutes de la Tour Eiffel en train ») ou Tiffanie Davis qui a créé un dossier complet pour aider à faire le big move à Paris, les Américains nous aiment et rêvent de vivre ici. Confinés comme nous, ils semblent pourtant délibérément ignorer tous les aspects dark de l’Europe pour privilégier l’escapism à tout prix. Et leur échappée belle se trouve plus précisément en France, où chacune des stars du genre s’est retrouvée avec un pic d’abonnements sur Insta, particulièrement cet été quand le monde entier rêvait de vacances (et qu’on était tous à Marseille). Pourtant, ces Frenchfluencers promettent tout faire pour communiquer honnêtement avec leur audience et ne pas lui vendre une carte postale hors sujet – l’une racontant la paperasse administrative, l’autre le bruit assourdissant des scooters ou encore l’éviction de son appartement. Mais rien n’y fait, on ne nous voit pas de cet œil là en Amérique : nous vivons dans un décor de rêve avec une culture fascinante et de la bouffe délicieuse, point final. Les pubs pour parfums, Emily in Paris et notre sex appeal (à moins que ce soit la Sécurité Sociale) ont jeté un sort outre-Atlantique. Shut up and let me dream. Elaine Sciolino, journaliste et autrice du livre « The Seine: The River that Made Paris », sait bien que le célèbre fleuve est sale, qu’il y a des rats sur les quais et des Velib’ dans l’eau, que vous pouvez vous faire harceler par un relou dans la rue ou piquer votre portefeuille en un instant, mais elle résume : « Personne ne va être désolé pour vous si vous habitez Paris. Personne. » À nous maintenant de réaliser que, ouais, c’est vraiment pas si mal de vivre en France. Make that je ne sais quoi great again !
