Source : Le P’tit Libé
En plein délire sur le vaccin contre le Covid, on a remonté le fil du mouvement antivax, et il ne date pas d’hier : les adversaires de Pasteur pensaient déjà que la vaccine transformait l’humain en vache… Petite piqûre de rappel sur les résistances à la bienfaisante seringue, de la variole au Sars-CoV-2. Ne vous inquiétez pas, ça ne fait pas mal.
Pasteur, la rage et les rageux.
Insolite: le vaccin contre la rage a eu ses rageux ! Dès 1885, quand Louis Pasteur met au point un vaccin pour soigner le jeune Joseph Meister, mordu par un chien enragé, les laudateurs ne manquent pas mais les opposants enflammés non plus. Ces derniers lui reprochent de voir des microbes partout, d’être vendu aux pharmaciens et de torturer des animaux… Ils prétendent même que son invention démoniaque provoquerait un phénomène aussi magique que monstrueux de « minotaurisation » : les organismes extraits des bovins contenus dans le vaccin feraient pousser des têtes de vache aux humains… De quoi être immeuuuhnisé.e.s.
Caricature d’Edward Jenner inoculant des patients dont sortent alors des têtes de vaches. Sous le dessin on peut lire : The cow-pock – or – the wonderful effects of the new inoculation! – Vide, the publications of ye anti-vaccine society.
Depuis la mise au point de la vaccination contre la variole par le médecin anglais Jenner fin XVIIIe, « la pratique vaccinale n’a cessé de rencontrer des résistances de différentes natures », comme nous l’apprennent Françoise Salvadori et Laurent-Henri Vignaud dans leur passionnant bouquin. Car le vaccin n’a jamais été perçu comme une broutille. On a beau être « beaucoup plus gros.se.s que l’aiguille » (je cite de mémoire mon rassurant médecin de famille), la seringue ne laisse pas serein, chargée qu’elle est de représentations culturelles, pseudo-scientifiques, magiques ou carrément paranoïaques. Voici quelques arguments historiques des antivax qui sont loin d’être de l’histoire ancienne. N’oublions pas que la France est même championne du monde en la matière… Cocoricovid ?!
Vaccination et superstition
Avant même la vaccination, lorsque Lady Montagu (encore une femme précurseuse!) fait inoculer son fils contre la variole à Constantinople, les croyances religieuses diverses condamnent cette pratique. Jugée contraire à Dieu et à la Nature, d’aucuns voient même dans la maladie et sa souffrance une vertu rédemptrice… Une bonne variole, ça requinque; sauf quand ça tue… En France, Voltaire se fera le thuriféraire de cette pratique nouvelle importée de la moderne Angleterre.Le motif théologique en la matière est loin d’être un anachronisme de nos jours : selon une enquête récente de l’École d’hygiène de Londres menée dans 65 pays, 15 % des citoyens interrogés se disent antivax pour raisons religieuses. Les écarts entre pays sont importants et difficiles à expliquer : 2 % seulement en Arabie Saoudite (qui impose certains vaccins pour le pèlerinage à La Mecque, suite à des épidémies de méningite), mais 50 % en Mongolie et 44 % en Thaïlande… Autre cas dans l’actu : celui des Juifs hassidiques de Brooklyn qui ont été à l’origine de nombreux cas de rougeole à New York au printemps 2019, obligeant le maire Bill de Blasio à décréter l’état d’urgence pour endiguer l’épidémie…
La Nature aurait horreur des piqûres
La variole était une maladie infectieuse transmise par un virus d’origine animale, très contagieuse et épidémique… Ça ne vous rappelle rien ? Non, pas la mode des claquettes-chaussettes, le SARS-CoV-2, évidemment. Et bien malgré les ravages documentés de la variole, le doc Verdé de Lisle au XIXe remercie chaleureusement la Nature de nous avoir offert ce terrible virus car il serait un rempart moral contre les turpitudes et aurait une vertu assainissante … Rappelons tout de même que cette maladie a fait quelque 300.000 morts par an à travers le monde pendant des siècles (merci du cadeau) avant son éradication grâce au vaccin… en 1980 seulement !Cette idée du vaccin comme « délit commis contre la nature » fait florès au XXe chez les « antimicrobiens »: la vaccine s’opposerait à la « sélection naturelle » et contribuerait à la dégénérescence qui nous mine… Un « darwinisme » médical et social que l’on retrouve aussi chez les pourfendeurs de vaccins contemporains qui accusent les provax de briser les lois de la Nature. Une vision des choses sous-tendue par une dichotomie grossière “nature bonne/artifice mauvais”, or rappelons que la mayonnaise non plus n’est pas “naturelle”, et pourtant, que serions-nous sans elle ? Plus minces, vous dites ?
Méconnaissance et « mal-science ».
Le problème avec le Covid comme avec les vaccins, c’est qu’on ne peut pas s’en remettre à l’expertise du premier expert venu car les antivax les plus éminents sont… des médecins ! Un seul exemple : en dépit des centaines d’études épidémiologiques robustes qui ont montré l’efficacité protectrice collective de la vaccination (comme celle-ci), le désormais tristement célèbre Pr Montagnier, codécouvreur du virus du sida et prix Nobel, explique très tranquillement le lien entre vaccination et mort subite du nourrisson, sans preuve solide… Entre l’alterscience (science alternative biaisée) et la mal-science (volonté de fraude intentionnelle), il n’y a qu’un pas que d’éminents scientifiques franchissent allègrement en faisant le jeu des théories les plus farfelues qui fermentent sur internet. La toute dernière ? Le documentaire complotiste Hold-Up qui affirme à l’emporte-pièce que le futur vaccin contre le Covid permettrait de faire circuler des nanoparticules dans les organismes, le tout breveté par Bill Gates, afin de tracer les activités corporelles et d’attribuer une valeur monétaire aux humains… Relax, antivax.
Antivax et politique
Sur internet, des vidéos sensationnalistes déployant scénarios aberrants et thèses fumeuses s’en prennent aux défenseur.euse.s du vaccin, perçu.e.s comme les sbires des laboratoires pharmaceutiques diabolisés (comme Pasteur, déjà), regroupés sous le terme un rien parano de « BigPharma ». Si la critique de ce secteur commercial (comme de tout autre) est légitime, le réduire à une conjuration organisée par une secte de reptiliens milliardaires souhaitant secrètement annihiler une bonne partie de l’humanité est tout à fait (tout à fait) irrationnel. Des scandales récents (Mediator, sang contaminé, vote-face sur le vaccin du H1N1 en 2009) ont ébranlé la confiance dans le secteur médico-industriel, certes, mais de là à jeter le bébé de la santé publique avec l’eau du bain médiatique, il y a un gouffre…C’est que le vaccin a une dimension politique: il est un symbole réversible. Pour les antivax, le refuser, c’est faire obstacle à l’autorité d’un état vu comme intrusif, suspect et malveillant, en brandissant l’étendard sacré du libre-arbitre souvent planté dans une ignorance crasse… Pour le provax (dont nous sommes) il est un acte solidaire et citoyen, un devoir collectif qui dépasse l’individu et implique l’ensemble de la société. En attendant le vaccin contre le Covid (et celui contre la gueule de bois, vite !), tout de même rejeté à priori par près de la moitié des Français, sachons être patients et raison garder, et écoutons l’OMS par exemple. Car il est clair que si l’on met en regard les millions de vies sauvées et les risques associés à ces vaccinations, la balance penche nettement du côté de la piqûre. Et ça ne fait pas (trop) mal, promis.