(Lisez ces lignes en chuchotant)
Est-ce qu’il vous est déjà arrivé, lorsque on vous murmure à l’oreille, que vous manipulez du polystyrène ou que vous froissez une feuille de papier, de ressentir une étrange et agréable sensation de picotement qui part du haut du crâne et descend dans la colonne vertébrale, laissant derrière elle un sentiment de plénitude hyper satisfaisant, un peu comme un mini-orgasme ? Pour vous donner une idée, la sensation s’approche de celle que procurent ces appareils à tiges multiples qui massent le cuir chevelu. Et bien ce phénomène a un nom : ASMR, ou Autonomous Sensory Meridian Response. Vous en avez probablement entendu parler il y a quelques années – eh bien bonne nouvelle pour les adeptes (ou pour ceux qui veulent juste se marrer un bon coup), le phénomène prend de l’ampleur.
Le terme ASMR est né en 2010 et nous vient de Jennifer Allen, une Américaine qui, après un an d’échanges via des forums avec des inconnus qui avaient tous, comme elle, fait l’expérience hasardeuse de ce qu’ils appelaient alors un « orgasme du cerveau », a décidé d’accorder à ce curieux phénomène l’attention qu’il méritait, comme elle l’a expliqué au New York Times. Elle crée alors un groupe Facebook qui attire rapidement des adeptes du monde entier, tous réunis autour de cette inexplicable sensation de bien-être provoquée par des chuchotements, des bruits de brosse à cheveux, des images de galaxies en mouvement ou les cours de peinture de Bob Ross – car oui, l’ASMR ne répond pas qu’aux stimulus auditifs, mais aussi visuels, olfactifs et cognitifs, et le peintre new-age préféré des USA est l’une des stars du genre. En quelques années à peine, des centaines de chaînes Youtube dédiées à l’ASMR ont vu le jour, toutes peuplées de vidéos plus étranges les unes que les autres, visant à stimuler les sens.
Crédit : Hannah Whitaker pour The New York Times
Pour la première fois peut-être, Internet fédère alors des milliers de personnes autour non pas du partage d’opinions, de valeurs ou de centres d’intérêt, mais d’un ressenti physique que personne n’avait encore pensé à définir. Mieux encore, l’ASMR fait partie des rares sensations qui ont fait, justement, sensation, avant même que la science ne se soit penchée sur le sujet. Alors qu’on a par exemple attendu près d’un siècle pour définir la synesthésie (le fait d’associer un chiffre à une couleur, un bruit à une image, un mot à un goût…), l’existence de l’ASMR comme phénomène s’est imposée d’elle-même : le simple fait que des milliers de personnes en fasse la recherche sur Internet, et que d’autres créent du contenu pour nourrir cette recherche, prouve son existence. Au point que Craig Richard, un professeur de physiologie à l’université de Shenandoah, lui a dédié une plateforme ultra complète, ASMR University, ou on peut tout apprendre sur son histoire, son fonctionnement et ses bienfaits, y compris pour contrer la dépression pandémique.
Aujourd’hui, l’ASMR n’est plus seulement l’affaire d’une poignée d’initiés, mais bien un phénomène mondial en pleine expansion, utilisé notamment comme palliatif aux somnifères. À chaque « trigger » (comprendre «déclencheur», ces éléments qui provoquent la fameuse sensation de bien-être) sa tendance, rapidement démultipliée et, inévitablement, monétisée à grands renforts de vidéos sponsorisées. Et dans le vaste monde de l’ASMR, tout est bon pour kiffer, jusqu’aux techniques les plus wtf : raser un pain de savon, tripoter un rouleau de PQ, manger du vernis à ongles ou du scotch…
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Les stars se prêtent aussi au jeu, on peut désormais regarder Cardi B ronronner dans un micro, écouter une chansons composée à 100% en ASMR par la géniale Elsa Majimbo ou, puisqu’un tel phénomène ne vient pas sans son pendant de détournements hilarants, revivre les clash mythiques des Real Housewives, version murmures. Dernières perles en date, qui ont relancé la tendance en France : les comptes Instagram asmr_politics et journalismeasmr, qui détournent des vidéos de paroles politiques ou journalistiques. Et on vous garantit que le discours enflammé d’Emmanuel Macron à la Porte de Versailles ou le « La République, c’est moi ! » de Jean-Luc Mélenchon susurrés dans votre oreille valent leur pesant de marrade.
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Une question subsiste : Pourquoi ? Qu’est-ce qui, au juste, nous procure des sensations aussi apaisantes, voire orgasmiques, à la simple écoute de sons ou visionnage d’images improbables ? Craig Richard note que les « triggers » populaires liés au chuchotement, à la toilette ou à l’eye-contact, sont tous comparables à la façon dont un adulte s’occupe d’un enfant en bas-âge. Il en fallait donc de peu pour qu’émergent les premiers kits d’ASMR pour enfants, avec micro, enceintes et ustensiles inclus. Quant aux très rares études scientifiques sur le sujet, elles tendent à dire que l’ASMR aurait à voir avec les «comportements d’affiliation» qui renforcent le sentiment d’une interaction sociale sécurisante, comme si ces stimulus nous donnaient, inconsciemment, une impression de proximité, voire d’intimité.
Les chaines Youtube les plus populaires, comme Gentle Whispering ASMR, surfent d’ailleurs bien souvent sur le combo mots doux / grooming / regard, qui frôle le fétichisme érotique auquel la pratique est souvent associée : une jolie fille se brosse les cheveux, se masse le visage ou se prépare un thé, le tout devant un micro hyper sensible, tout en vous chuchotant des cajoleries, les yeux rivés dans les vôtres. Vous voyez le truc ? Et comme nous sommes sur Internet, l’industrie du porno a, bien sûr, sauté sur l’occasion pour récupérer l’affaire. Cette fois, on vous laisse chercher par vous-même, et on retourne à nos vidéos de Bob Ross.
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