Crédit : Christoph Niemann
Aujourd’hui, on aurait adoré se réveiller dans un monde où Donald Trump serait officiellement remercié de la Maison Blanche, à grand coups de bulletins bleus. Malheureusement, ça ne va pas être aussi simple… À l’heure où on vous écrit, il crie déjà victoire, fidèle à sa stratégie de déni total. Mais rien n’est encore joué : 19 états pour Joe Biden, qui remporte notamment la Californie, le New-Hampshire (une déception pour Donald Trump), et reprend le Colorado aux Républicains ; et 23 pour Trump, qui sort notamment majoritaire en Floride, un état décisif pour lui. Alors que la carte est actuellement sensiblement la même qu’en 2016 (Trump conserve la majorité de ses états, Biden récupère ceux d’Hillary, score serré dans la Rust Belt), tout repose désormais sur les dernières zones à bascule, ainsi que sur le comptage des votes a distance qui continuera de s’étaler dans les prochains jours – notamment dans des états décisifs comme la Pennsylvanie. Autant dire qu’on va attendre un peu pour faire péter le champagne – la peau de l’ours, ça vous dit quelque chose ?
Surtout qu’aux États-Unis, le système électoral (si vous êtes un peu perdus dans ces histoires de grands électeurs, Le Monde vous explique) complique légèrement les choses. Plus, il comporte des failles tellement grosses qu’elles pourraient bien compromettre une victoire de Biden, quand bien-même les résultats des prochains jours pencheraient en sa faveur. Ces fameuses failles (on vous explique tout ça plus bas), Donald Trump ne se privera pas de les exploiter en cas de défaite présumée, et ce pour une raison toute simple, détaillée dans cet article du New Yorker : l’homme a très, très chaud aux fesses.
La maison blanche ou la prison ?
Pensez-y une seconde : qui dit défaite de Trump dit, dans la foulée, la fin de toute forme d’immunité présidentielle. Et l’homme a beau avoir survécu à un impeachment, à 6 faillites, à 26 accusations de conduite sexuelle déplacée, et à près de 4000 procès (oui oui, 4000), ce qui l’attend dans les années à venir risque de lui coûter très cher. On peut citer par exemple les 300 millions de dollars de prêts personnels qu’il devra rembourser ces 4 prochaines années, comme l’estime une enquête du New York Times. Ou les 900 millions de dettes immobilières estimées par le Financial Times, également dues dans 4 ans. Sans compter sa bataille avec les autorités financières à propos de douteuses déductions de taxes, qui pourrait lui coûter 100 millions supplémentaires. Ah, et l’affaire Stormy Daniels aussi. Oh, on allait oublier, deux des plus grandes figures de loi new-yorkaises enquêtent actuellement sur quelques pratiques douteuses de Trump en matière de business… Vous voyez le truc ? S’il est réélu, il pourrait carrément avoir l’audace de tenter de faire valoir le pardon présidentiel sur sa propre personne. Mais à la seconde où l’homme qui valait 70 000 dollars de soins capillaires quittera la présidence, il redeviendra vulnérable, et pourrait même risquer la prison.
Un bug dans le système
C’est là qu’interviennent les fameuses failles dont on vous parlait plus haut, expliquées par le commentateur politique Van Jones dans cette vidéo étonnante.Scénario 1 : Trump refuse de prononcer le Concession speechConcession quoi, vous dites ? Il s’agit du discours traditionnellement prononcé par un candidat présumé vaincu, après les premiers résultats des votes. Le fameux speech du bon perdant, qui admet sa défaite, rameute ses troupes et dit « Ok, belle partie les mecs, maintenant on rentre. » Comme le fait très justement remarquer Van Jones, le Concession speech, c’est aussi ce qui convainc des partisans déçus par la défaite de leur candidat de rester loyal au gouvernement entrant. Et d’accepter d’avoir perdu sans aller tout péter, un risque très sérieusement envisageable. C’est surtout l’étape nécessaire à enclencher les mécanismes officiels d’une nouvelle présidence. Ca parait dure à croire, mais par le simple fait de refuser de prononcer le Concession speech en cas de victoire annoncée de Biden, Trump pourrait, tout simplement, bloquer ces mécanismes. Et en profiter par avoir recours à tous les moyens possibles pour s’accrocher au pouvoir : crier à la fraude, exiger des états où il n’est pas vainqueur d’invalider des élections qu’ils jugerait biaisées, tenter de faire valoir l’invalidité des bulletins de vote à distance devant des tribunaux (autant dire, des millions de votes potentiellement annulés)…
Crédit : Getty / The Atlantic
Scénario 2 : la Chambre des représentantsDans le système électoral américain, si aucun des deux candidats en tête ne remporte les 270 grands électeurs nécessaires à sa victoire, le vote est remis à la Chambre des représentants. 50 élus – un par état – sont alors chargés de voter pour leur camp, annulant par le même temps le vote « populaire » et le vote « politique ». Comme le fait remarquer Van Jones, il s’agit, littéralement, d’une faille légale dans le principe même de majorité. Là où ça se corse, c’est que s’il y a, en 2020, plus d’Américains résidants dans les états démocrates, il y a, en revanche, plus d’états républicains au total. Dans ce cas de figure, Trump aurait donc toutes ses chances… Alors, on sort les mouchoirs ? Pas si vite. Les zones charnières n’ont pas encore rendu leurs verdicts, et des millions de bulletins restent encore à comptabiliser. On croise tout ce qu’on a de doigts, et on envoie du courage à nos copains américains.
