Les terrasses sont ré-ouvertes et bientôt la France en intégralité reviendra à la « normale ». On pourrait déjà croire que c’est le cas : il ne reste de ce coronavirus qu’un souvenir confus, deux mois chez soi loin du monde extérieur, des nouvelles toujours alarmantes d’ailleurs, et des gestes barrière plus ou moins respectés. Nous avons notre masque sur nous, nous nous gélifions les menottes à haute dose, nous tâchons de maintenir nos distances et surtout… nous ne savons plus comment nous saluer. Quelque part dans un coin de notre tête, avant que l’apéro-trottoir ne s’emballe, nous avons encore conscience du danger rampant et nous retrouvons donc dans cette valse hésitation devenue désormais familière du « on fait comment, on s’embrasse ou pas ? » (la réponse, c’est PAS).
Bienvenue dans un monde inversé où tous les gestes d’affection sont considérés comme dangereux et où, a contrario, la distanciation témoigne d’une réelle attention à l’autre. Pas évident de faire comprendre ça à des mammifères accros au contact comme nous – qui plus est à des Français encore plus dinguos de touche-touche.
Nous voici donc, avançant masqués et à tâtons dans ce nouveau monde des salutations sanitaires-friendly. Il y a le coucou distancié qui donne immanquablement l’air bête, les amusants checks de coude ou de pieds, les hugs virtuels où l’on mime l’étreinte de loin, les salutations de tête où tout se joue dans le regard… Il y a toujours cette pause psychologique face à l’autre, le fameux « tu veux ou tu veux pas ? » à ne surtout jamais forcer (chacun.e son niveau de stress, chacun.e son espace personnel, chacun.e son consentement à la salutation physique).
Et surtout, il y a ce vide abyssal auquel les Américains ont donné un nom, la « touch starvation » soit la famine tactile. Car se tripoter comme nous le faisions auparavant n’avait pas que des désavantages : diminution du rythme cardiaque, de la pression sanguine et des hormones du stress, augmentation de la sérotonine et des hormones de liaison comme l’ocytocine… Au moment où nous en aurions le plus besoin, nous voilà donc privé.e.s des bienfaits et vertus antidépressives du contact physique. C’est ballot.
Dans un article du NY Times sur le sujet, on rappelle qu’une salutation est une action à message. Par exemple avec la poignée de main, geste ultra codifié où se broyer mutuellement les phalanges sert d’introduction, de démonstration d’esprit sportif ou d’offrande de paix. Alors qu’il y a quelques mois encore, il aurait été impoli de la refuser, les règles relatives aux civilités ont changé et nous voici dans l’obligation de décliner la traditionnelle empoignade – avec une certaine gêne, perdurant malgré le fait que tout le monde est désormais logé à la même enseigne. « Lorsque vous vous serrez la main, cela équivaut à trois heures d’interaction face à face. Nous devons donc remplacer cette composante émotionnelle implicite par quelque chose d’explicite. » explique le Dr. Zak, spécialiste des neurosciences, qui suggère donc de verbaliser l’appréciation de l’autre. Un petit « je te kiffe » à la fin d’un échange de loin, ça ne mange pas de pain.
Et quid de la bise ? Pratique fâcheuse (pour certains) et carrément interdite sur le plan sanitaire, elle commencerait presque à nous manquer. D’après The Local, elle fut popularisée par les Romains, la diffusant dans toute l’Europe et l’Afrique du Nord au fur et à mesure que leur empire s’étendait. Il y avait le saevium pour un baiser d’amour, l’osculum pour un baiser amical ou religieux et le basium pour un baiser courtois et poli – l’ancêtre de notre bise d’aujourd’hui. On pourrait croire que le monde du Covid19 fera disparaître cette tradition, mais si on s’en réfère à l’histoire, la bise est tenace : au XIVe siècle, les gens ont cessé de la pratiquer à cause de la peste, mais pouf, elle réapparaît par miracle après la Première Guerre mondiale (au grand dam de la bourgeoisie qui la jugeait vulgaire, une opinion qui a perduré jusqu’au milieu du XXe siècle). Ne l’enterrons donc pas trop vite..!
Quant aux hugs, ces chaleureux calinous/échanges d’énergie, ils peuvent être pratiqués avec quelques précautions. Slate reprend les grandes lignes d’un article joliment illustré du NY Times, particulièrement utile pour aller visiter Mamie. Il faut donc pour limiter les risques, tourner la tête du côté opposé à celle de la personne étreinte, retenir si possible sa respiration («La plupart des câlins ne durent que dix secondes, les gens devraient y parvenir», d’après le docteur Julian Tang, virologue) et attendre d’être à une certaine distance avant de se parler. Les enfants ont plus de chance : ils peuvent enlacer Mémé à la taille et se faire bisouiller sur le haut du crâne par derrière (c’est technique) sans danger.
Aujourd’hui que ces salutations sont en suspens, nos rencontres avec les autres sont désormais émaillés ainsi : hésitation et gêne au début, frustration et manque au départ – car se quitter sans s’embrasser, se serrer la main ou dans les bras laisse un goût d’inachevé… Mais rassurez-vous, tout cela reviendra et il est également possible que, pour de nombreuses personnes, le nouveau normal ne semble pas si anormal. Selon des recherches effectuées par le Dr Field et son équipe, les gestes physiques semblaient déjà diminuer avant la pandémie. En analysant le comportement des personnes aux portes des aéroports du monde entier, ils ont constaté qu’elles passaient la plupart de leur temps de pré embarquement sur leur téléphone – et non pas à étreindre leur famille. « Les gens sont tellement addicts à leur téléphone portable, à la technologie et aux médias sociaux qu’ils ne se sentiront pas vraiment privés de contact. ». Et ben voilà, un petit like et ça repart !
