Comment gérer la perte d’odorat et de goût ?

Crédit : Ivana Cruz

Il est possible, chère lectrice, cher lecteur, qu’à l’heure où vous lisiez ces lignes et aux vues de la contagion toujours galopante, vous ne sentiez plus rien – ni votre café du matin, ni la litière du chat. Cette perte d’odorat, nommée médicalement “anosmie”, est désormais identifiée comme l’un des symptômes les plus courants de la Covid-19, touchant de 50 à 80% des cas en France (et étonnamment, seulement 5% chez les patients chinois pour 98% des cas en Iran). C’est donc arrivé à des gens très bien, près de 750 000 français plus exactement. Et si ça vous arrive aussi : isolez-vous et faites-vous tester au plus vite car c’est un indicateur fiable de la maladie.

Mais c’est quoi ?

C’est déjà une bonne nouvelle. L’anosmie est  à priori bon signe : cela signifie que votre système immunitaire a réussi à ralentir, limiter, voire stopper l’infection à votre bulbe olfactif, plutôt que de la laisser atteindre les poumons ou le sang. Seuls 10 à 15% des cas graves de coronavirus ne sentent plus, pour jusqu’à 85% de cas bénins (plutôt des jeunes et des femmes) ; vous pouvez donc souffler par le nez, vous avez probablement la version light de cet horrible virus qui s’attaque, il est important de le rappeler, au système nerveux central – truc de fou. Quand vous reniflez la bouteille de shampoing ou le pot de ras el hanout, rien, juste de l’air désodorisé qui rentre dans vos narines. Le nez n’est ni bouché ni coulant contrairement à un rhume, mais vous pouvez éventuellement ressentir une petite brûlure dans les sinus, sensation pas très agréable qui rappelle un peu celle qu’on ressent dans le nez quand on boit la tasse ou… qu’on sort d’un test PCR. C’est qu’à l’intérieur, ça bosse dur au niveau de nos récepteurs ACE2, les victimes préférées du SASR-CoV-2 qui adore les attaquer. Et nous en avons aussi plein la langue, où ils sont connus pour jouer un rôle majeur dans la perception du goût. Enter l’agueusie ! En bloquant les cellules de fixation de l’acide sialique sur les papilles gustatives, vous n’allez percevoir que les “grandes lignes” d’un aliment ou d’un plat (le salé, le sucré, l’acide, l’amer et le piquant) mais aucune des subtilités et nuances qui font tout l’intérêt de la chose. C’est comme si les saveurs étaient tout au fond d’un long couloir ; vous les apercevez au loin, mais elles ne prennent plus la peine de venir vous égayer le repas. Le coco vous offre donc un monde sans goût ni odeur, d’une fadeur fascinante. Vous voilà enfermé.e dans une bulle neutre (et potentiellement dangereuse en cas de fuite de gaz ou de casserole sur le feu).

Et ça se soigne ?

Oui ! Rassurez-vous, ça ne devrait pas durer trop longtemps ; 70 % des patients récupèrent dans les huit jours et on estime à deux mois la durée maximale “classique” pour une récupération du goût et de l’odorat. Les moins chanceux pourront attendre ce grand moment jusqu’à un an, en s’aidant d’une rééducation olfactive (et de corticoïdes prescrits par leur médecin). Il s’agit d’entraîner son cerveau à progressivement reconnaître les parfums en sniffant plusieurs fois par jour des odeurs assez marquées. Plus précisément, à muscler son cerveau à l’aide de vos souvenirs olfactifs : par exemple, même sans l’avoir sous le nez, on sait tou.te.s ce qu’est censé sentir un pot de Nutella et c’est précisément cette petite gym qu’il faut encourager… Prenez cinq choses aux odeurs familières et pour chacune, lisez l’étiquette pour laisser le temps à votre système sensoriel de se rappeler de son parfum, puis sentez-la en essayant de distinguer ces effluves si caractéristiques. Recommencez avec les mêmes odeurs matin et soir jusqu’à amélioration. “L’important, c’est de réunir des odeurs variées permettant une stimulation olfactive large : du fruité, du floral, du boisé… » précise le Pr Rombaux du service ORL des Cliniques universitaires Saint-Luc, à Bruxelles. 

• Smell Tracker peut vous aider à mesurer vos progrès, tout en vous donnant des pistes d’odeurs simples, issues du quotidien et classées par groupes de stimulation olfactive. 
• Vous pouvez suivre le protocole mis en place par Anosmie.org à base d’huiles essentielles.
• Encore mieux, procurez-vous ce génial Loto des Odeurs, pour humer à l’aveugle et reprendre progressivement votre pied avec votre nez.

Quoiqu’il en soit, il faut stimuler longtemps son odorat et, si sa sensibilité diminue, recommencer les séances, tout en développant au max son acuité olfactive en cuisinant, en faisant sa balade quotidienne, en mangeant, etc…Et que manger quand on a perdu le goût ? Des trucs très salés, très épicés, trop sucrés. Ce n’est pas le moment de penser à l’umami et autres plaisirs délicats. Si vous ne voulez pas périr d’ennui et vous nourrir uniquement de coquillettes à l’emmental pendant cette période de papilles atones, go big go bold ! Voici nos tips récoltés auprès de personnes sans goût.

• profitez-en pour faire une cure de trucs bons pour la santé, mais pas forcément réjouissants à avaler (jus de céleri, huile de foie de morue, boisson au curcuma, bone broth…).
• jouez sur les contrastes (chaud-froid) et pensez aux textures avant tout ; créez vos repas en essayant d’inclure de l’onctueux, du croquant, du fondant, du croustillant, du moelleux, etc… Par exemple, essayez les oeufs de poisson sur une pomme de terre chaude avec du yaourt grec, aka mini explosions salines sur douceur chaude nappée de fraîcheur.
• lâchez-vous sur les épices, les aliments salants (tamari, sauce poisson, etc) et la hot sauce.
• oubliez les plats comfort food qui sont en fait du mou gras et qui, sans goût, ne seront QUE ça.
• laissez-vous surprendre par cette aventure gustative : vous aimerez peut-être des trucs qui d’habitude vous font horreur et vice-versa, c’est ça qui est marrant !

Enfin préparez-vous à verser une larme le jour où, le nez fourré dans le pot, vous reconnaîtrez l’odeur lointaine du cinq épices. Ou encore plus ridicule (mais véridique), quand vous sentirez enfin votre propre sueur ou le premier pipi du matin… On est peu de choses.