WHAT HAPPENS NEXT?
… c’est la question que s’est posée le magazine Monocle dans son numéro du mois de juin. Pour y répondre, il a ouvert ses pages à 50 “thinkers who dare to dream ». On vous rassure tout de suite : ceux-ci n’ont absolument rien à voir avec les éditorialistes – souvent des hommes, blancs, de plus de 50 ans – qui débattent du “monde d’après” dans les colonnes de nos journaux hexagonaux. On vous a sélectionné 10 de ces personnalités, ainsi que leurs meilleures idées. Go !
Ilse Crawford – Designer d’intérieur
Pendant ce confinement, la designer d’Ilsestudio a redécouvert son escalier de secours devenu une échappée belle, a conceptualisé l’idée du « mobilier à tout faire » et a réfléchi au faux sens de sécurité que procure le métal ou le plastique, en vogue sanitaire alors qu’ils sont les matériaux qui retiennent le virus le plus longtemps…
Son envie ? Inciter les promoteurs à concevoir des programmes immobiliers dans lesquels on aurait envie d’être enfermés : plus verts (avec des jardins partagés ou des serres) et plus conviviaux (avec des lieux pour se retrouver et partager des moments entre voisins, même distanciés). Pour elle, cette crise doit changer la façon dont on conçoit les immeubles et la ville. Un peu comme au siècle dernier, quand les conséquences d’une grave épidémie ont inspiré une révolution architecturale : le Modernisme.
Julia Hobsbawm – auteure du livre The Simplicity Principle
Parce que nous sommes quoi qu’il en soit des êtres sociaux et que nous avons dû nous adapter à de nouvelles façons de se connecter (par la solidarité, les réseaux sociaux, les vidéocalls, les applaudissements de 20h…), Julia Hobsbawm repense nos relations entre collègues à la lumière de ces changements. Son idée ? Retrouver une dimension « commerçant » dans nos échanges professionnels : sans forcément annuler voyages ou réunions, essayons de créer de la profondeur, de prendre notre temps de discuter et de voir plus petit. Profiter de chaque moment avec ses collègues pour être vraiment ensemble – fini les communications par e-mail ou messagerie à travers l’open-space, retrouvons-nous pour échanger dans un parc ou en marchant le long des quais.
Tristan McAllister, journaliste et spécialiste des transports
D’après une étude portant sur 153 pays entre mi-janvier et début avril, les transports en commun, désormais vus comme des nids à contagion, ont baissé leur trafic de 72%… Tandis que le Japon et Singapour désinfectent frénétiquement les wagons, la question se pose ici : allons-nous réellement retourner se serrer dans le métro après le coronavirus ? Sa suggestion ? Non, nous avons l’opportunité de repenser à la façon dont nous nous déplaçons en ville. Après la découverte d’une vie sans voiture (en Angleterre, seules 20% des autos circulent pendant le lockdown), faisons de la place aux piétons et pérennisons les pistes cyclables temporaires.
Sophie Grove – Journaliste
Son quartier, à Londres, a été transformé par la pandémie. Les gens se sont mis à entretenir le moindre carré de verdure, les voisins ont commencé à se parler (en gardant leurs distances, of course), le facteur est redevenu une figure familière, etc. C’est tout le paradoxe de la situation : dans ce petit coin de Londres, le confinement a fait office d’ice-breaker… et la vie n’y sera plus comme avant.Son constat ? Nous avons ré-investi notre vie de quartier, notre « stay home » nous a en réalité ouvert l’horizon pas si lointain des porches, fenêtres et balcons des voisins, où la présence humaine est devenue bienveillante. Ne changeons rien, c’était si bien.
Jean-Martin Fortier, fermier
Que ce soit parce qu’il n’y avait plus de farine au supermarché, que notre resto préféré nous a manqué, que nous avons été sauvés par des livraisons de paniers paysans, ce micro-fermier canadien estime que nous avons enfin compris notre dépendance à l’importation et les rouages de notre système agro-alimentaire. Son souhait ? Qu’un maximum de gens se mettent à consommer local, et bio, pour soutenir les agriculteurs de proximité, plutôt que d’importer des fruits et légumes de l’autre bout du monde et de nourrir une mondialisation absurde. Mais aussi que chacun commence à s’intéresser vraiment à ce qui est dans son assiette, en se mettant à jardiner
Paula Gerbase – Directrice artistique de la marque John Lobb
La brésilienne vivant à Londresremarque que les gens veulent plus. Pas plus de choses, mais les consommateurs attendent désormais plus des marques à qui ils achètent. Du durable donc, de la qualité, une certaine idée de la permanence. Et ça vaut particulièrement pour la mode.Son intuition ? Après tous ces jours qui se suivent et se ressemblent – y compris dans notre façon de nous habiller – nous allons retrouver le sens du détail et chercher de nouveaux moyens d’exprimer notre personnalité. Autrement dit, le plaisir de bien s’habiller à nouveau et la joie de revoir des gens se traduiront par un regain d’intérêt pour les belles choses…
Gabriel Leigh – journaliste et spécialiste des transports
L’industrie de l’aviation traverse une crise énorme, c’est certain – mais c’est aussi l’occasion de tout repenser pour réenchanter le voyage. Si le tourisme de masse a tué le plaisir de voler, pas la distanciation sociale. Nous ne devrions pas avoir à être empilés les uns sur les autres dans des avions et à payer pour une tasse de thé sur British Airways. Son plan ? Travailler dans le sens de l’innovation verte pour rétablir cette économie (carburants propres, énergie renouvelable pour les aéroports, voire une technologie radicale comme l’avion électrique), mais aussi réfléchir à des moyens d’accueillir les passagers hygiéniquement avec des kiosques self-service sans contact pour la sécurité, des sas de tests coronavirus pré-embarquement, etc.
Samantha Power – prof à Harvard et ancienne ambassadrice des Etats-Unis à l’ONU
Alors qu’on pense que la post-pandémie dessine une géopolitique fortement influencée par la Chine et les USA, la récipiendaire du Prix Pulitzer rappelle sans pincettes les camouflets du gouvernement de Xi Jinping et l’échec de l’administration Trump – mais se félicite aussi de l’émergence marquée de l’engagement civique populaire partout.Son rêve ? Que cette crise fasse changer pour de bon notre vision du leadership, grâce aux succès d’Angela Merkel (en Allemagne) ou de Jacinda Ardern (en Nouvelle-Zélande) : ces deux dirigeantes ont prouvé que rigueur et détermination étaient nécessaires, mais que ça fonctionnait bien mieux avec une dose d’humanité et d’empathie… Future is female.
Tim Duggan, créateur de Junkee Media et auteur du livre Cult Status
En écrivant sur l’entreprenariat, cet australien a découvert que même dans l’adversité, les petits business pouvaient s’en sortir grandis : beaucoup ont dû s’adapter rapidement (un café devenant épicerie, un business physique virant full online, etc) mais énormément ont ressenti une gratification réelle et le soutien de leur communauté – avec des clients faisant la queue longtemps pour les soutenir.Sa leçon ? Rendre ce que l’on reçoit et engager une partie de ses bénéfices dans une oeuvre caritative. Les clients seront fiers d’appartenir à une économie vertueuse et le feront savoir. Être honnête et sincère (vous avez le droit de dire que c’est dur pour vous), mais ne pas oublier la légèreté (c’est dur pour eux aussi).
Florian Egli, chercheur à l’université de Zurich et associé du Forum Suisse de politique étrangère.
Tout n’est pas rose, mais tout n’est pas noir non plus. Pendant cette crise mondiale, nous avons eu le temps de nous poser des questions fondamentales et avons réfléchi à des idées qui nous permettraient d’être plus forts en tant que communauté et mieux préparés à résister à un futur annoncé comme alarmant.Sa conclusion ? Nous devons conserver 3 bonnes habitudes apprises ces derniers temps : l’agilité d’action (un resto qui se transforme en service de livraison par exemple), l’économie locale et, bien sûr, le digital. Ce sont des bons réflexes qui devraient resservir par la suite.
